Que signifie la justice climatique en Europe ?
Un document de discussion

Ce document de discussion a été rédigé par un groupe de travail lors la réunion du réseau Climate Justice Action (Action pour la justice climatique) à Amsterdam en février 2010. Son objectif est d’explorer collectivement le concept de justice climatique dans le contexte européen. Nous proposons ce document de discussion volontairement incomplet et inachevé, et espérons qu’il sera utile en tant qu’outil pour relier les différentes luttes en Europe et ailleurs, et qu’il renforcera le mouvement collectif vers nos visions du futur.
En choisissant l’Europe comme terrain de cette discussion, nous ne nous séparons pas de celles et ceux qui luttent ailleurs dans le monde. Au contraire, en nous questionnant sur ce qu’est la base de la justice climatique sur notre propre palier, et en découvrant comment nous pouvons travailler à la mettre en place, nous nous battons pour un monde meilleur pour tou-te-s.

L’échec pitoyable des gouvernements à apporter une solution politique à la crise climatique à Copenhague ne fut pas une surprise pour celles et ceux qui, dès le début, comprenaient les Nations-Unies comme une institution dont les intérêts résident dans l’extension de la légitimité du capitalisme mondial et de l’état-nation. Celles et ceux qui plaçaient leurs espoirs dans la COP 15, que ce soit par naïveté ou par nécessité, sont reparti-e-s avec un sentiment d’incrédulité. De plus en plus de personnes en viennent désormais à réaliser que ce sont les mouvements sociaux, et pas les gouvernements, qui ont le pouvoir d’apporter les changements nécessaires en vue de résoudre la crise climatique.

Faire le lien avec les luttes sociales
Les solutions à la répression systématique, à l’exploitation, et à la crise climatique sont les mêmes. Oeuvrer à la justice climatique signifie relier ensemble toutes les luttes qui rejettent les marchés néolibéraux et travailler en direction d’un monde qui place les prises de décisions autonomes entre les mains des communautés. Notre vision du futur est celle d’une société qui reconnaît nos responsabilités historiques et cherche à protéger les biens communs au niveau mondial, tant en terme de climat que de la vie elle-même.

Solidarité
Depuis les bidonvilles des Amériques jusqu’aux précariats d’Europe, le Sud mondialisé inclut tou-te-s celles et ceux, qu’elles-ils résistent ou non, qui souffrent des impacts des relations capitalistes et de domination. Il est important de reconnaître que les individu-e-s marginalisé-e-s du Sud géographique sont également la première ligne de la lutte pour la justice climatique. La solidarité est la réalisation de la lutte commune. Elle consiste à réaliser que la géographie qui nous divise est insignifiante comparée à la force des valeurs qui nous lient ensemble – notre affirmation partagée de la vie et de la liberté face à l’exploitation et l’oppression. La solidarité, cela signifie se battre pour notre propre autonomie en même temps que nous luttons contre les firmes multinationales et les relations de capital qui exploitent les individu-e-s partout.

L’Union européenne
L’Europe, Union européenne comprise, est historiquement responsable du changement climatique et d’exploitation sociale et environnementale dans le monde entier. L’Union européenne en tant qu’outil politique sert uniquement à étendre les intérêts des riches et puissant-e-s. Son Agenda de Lisbonne, et le plus récent Agenda 2020, cherchent à augmenter la suprématie des multinationales basées en Europe et à étendre la règle du capital dans toutes les sphères de nos vies. Son développement du système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre a fondé un système qui sert uniquement à tirer profit de nos crises écologiques ; son processus de Bologne transforme nos universités en fabriques d’automates, tandis que la stratégie commerciale de l’Union européenne cherche à contrôler l’accès aux ressources naturelles et à une main d’oeuvre bon marché pour les multinationales européennes, poursuivant son héritage historique de colonialisme à travers des méthodes différentes. Venir à bout d’institutions qui passent outre l’autonomie des communautés en nous enchaînant à la croissance capitaliste est essentiel si nous voulons aller vers un monde écologiquement et socialement juste.

Nourriture et agriculture
La justice climatique est intimement liée à la nécessité de rompre le cercle de la production agricole industrialisée perpétué par l’OMC et les politiques européennes. La spéculation sur la nourriture en tant que marchandise industrielle et la domination de longues chaînes de productions non-soutenables par le capital international menacent la biosphère et la vie de milliards de personnes. Cette attaque sur la souveraineté alimentaire et la planète doit trouver comme riposte une lutte sociale pour une production alimentaire définie par les besoins et les droits des communautés locales. Cela signifie qu’il est nécessaire de redéfinir, re-localiser et se ré-approprier le contrôle sur notre nourriture et nos systèmes agricoles en s’engageant et en agissant en solidarité avec les luttes existantes.

Militarisme
En Europe, comme ailleurs, le complexe militaro-industriel est l’un des acteurs-clés qui assure le maintien du statu quo au sein du système économique et politique actuel. Sous la fausse promesse d’assurer la « sécurité » et pour la « guerre contre le terrorisme », des budgets énormes et toujours croissants sont dépensés en infrastructures militaires et policières. Les entreprises militaires sont souvent des tentatives mal dissimulées de permettre l’accès à des ressources étrangères et d’assurer de vastes profits à l’industrie de l’armement. Ce qui menace véritablement notre sécurité ne peut pas être solutionné par la force armée et le contrôle social. L’exclusion sociale, la pauvreté, la perte de la biodiversité, l’effondrement des écosystèmes, et une raréfaction croissante des ressources naturelles menant à une escalade des conflits et guerres de ressources, constituent des menaces bien plus importantes que le spectre du terrorisme, ou que tout autre ennemi imaginaire créé pour masquer les conflits sociaux qui existent au sein et entre nos sociétés. Lutter pour la justice climatique, c’est aussi définir un autre concept de « sécurité humaine » soutenable, qu’aucune force militaire ou policière ne sera jamais capable de garantir. Dans la pratique, en empêchant les changements dans nos systèmes mondiaux, le dispositif militaire et policier ne renforce pas la sécurité, il la met en péril.

Migrations
Le changement climatique exacerbe les facteurs qui poussent les populations à migrer : manque d’accès à la terre ou à un autre moyen de subsistance, agriculture défaillante, conflits et manque d’accès à l’eau. La proportion minime de personnes déplacées qui tentent un coûteux et dangereux périple, se retrouvent face à des contrôles militaires des frontières s’ils atteignent la « forteresse Europe ». Désigné-e-s comme « illégales-aux », on leur refuse les droits humains de base et elles-ils luttent pour vivre dans la dignité, tout en constituant le bouc émissaire idéal de nombreux problèmes sociaux. Le développement historique de l’accumulation du capital, du colonialisme et des émissions de gaz à effet de serre impose à l’Europe une responsabilité unique en terme de solidarité avec celles et ceux qui sont déplacé-e-s. Dans notre système d’économie de marché basé sur la « libre circulation », seul-e-s celles et ceux qui possèdent certains papiers comme un passeport européen ; les capitaux et les marchandises, sont libres de circuler à travers le monde. Celles et ceux qui cherchent une vie meilleure ou qui se déplacent pour survivre se voient de plus en plus fréquemment refuser cette option. Tout en luttant pour des conditions qui permettent aux populations de pouvoir rester dans leurs foyers et communautés, nous devons aussi défendre le principe de la liberté de mouvement pour toutes et tous comme un aspect majeur de la justice climatique.

Énergie
Le besoin d’une croissance économique constante signifie également une soif toujours croissante d’énergie. Alors qu’il y a suffisamment d’énergie en Europe, et bien qu’il en soit produit toujours davantage, nous constatons qu’en raison d’inefficacités et d’inégalités, des millions de personnes en Europe n’ont pas accès à une énergie abordable et ne sont pas en mesure de chauffer leurs foyers. De plus, les politiques énergétiques au sein de l’Europe ont pour résultat direct des quantités énormes de déchets dangereux (nucléaires et autres) et des niveaux élevés d’émissions de gaz à effet de serre qui sont en train de déstabiliser rapidement le climat mondial. Il nous faut nous assurer que tout le monde en Europe a accès à un niveau suffisant d’une énergie produite d’une façon qui ne nuise et ne mette pas en danger des personnes ou l’environnement. Il est nécessaire de transformer radicalement nos modes de production, de distribution et de consommation d’énergie. Cela signifie qu’il faut laisser les sources d’énergie fossiles sous terre, démocratiser les moyens de production et changer nos comportements en terme de consommation d’énergie. Les ressources énergétiques devraient être entre les mains des communautés qui les utilisent, et cela nécessite de contester le pouvoir et la propriété des compagnies d’énergie.

Production et consommation
L’Europe comporte des concentrations de richesses parmi les plus élevées au monde et consomme des quantités énormes de ressources, pourtant les inégalités sont criantes. La production et la consommation devraient être basées sur des valeurs autres que le profit ; cela implique de changer la façon dont nous structurons nos relations sociales, économiques et politiques, et de s’assurer d’un contrôle démocratique des moyens de production. Cela requerra l’expropriation et la conversion, non seulement des firmes et industries nuisant au climat, mais de toutes les sphères de la vie qui opèrent selon la logique du capital. Il nous faut lutter contre l’individualisme dans la société et cesser de nous laisser définir comme des consommatrices-eurs, une identité dés-humanisante et restrictive. Les valeurs sociales doivent être basées sur les besoins humains et pas sur une consommation, une croissance économique et une compétition en augmentation perpétuelle.

La justice climatique en Europe
La justice climatique, c’est reconnaître que le paradigme de la croissance capitaliste, qui mène à la sur-extraction, la surproduction et la surconsommation, se trouve profondément en opposition avec les limites biophysiques de la planète et la lutte pour la justice sociale. L’héritage historique d’expansion/colonialisme européen est l’une des causes premières des inégalités géopolitiques actuelles, au sein desquelles le Nord consomme le Sud. Travailler à la justice climatique signifie affronter les inégalités qui existent entre pays et au sein de ceux-ci, et remplacer les systèmes économiques et politiques qui les soutiennent. Le statu quo est maintenu à travers des échanges inégaux par le biais de politiques commerciales injustes et un accès inégal aux capacités technologiques. Sur le plan mondial, l’Europe est au centre de l’accumulation du capital et donc de l’exploitation socio-écologique du Sud, par ailleurs, de façon interne, il y a en Europe des inégalités énormes en terme ethniques, de genre et de classe. Ce sont des questions cruciales qui doivent être prises en compte dans la lutte pour la justice climatique au niveau européen.

Nous espérons que ce document de discussion a aidé à explorer le concept de justice climatique dans le contexte européen, et nous vous invitons à faire des commentaires afin de poursuivre cette discussion. Fondamentalement, nous pensons qu’il est impossible d’empêcher la poursuite du réchauffement planétaire sans nous atteler à la façon dont nos sociétés sont organisées – le combat pour la justice climatique et le combat pour la justice sociale sont un seul et même combat.

Email: info@climate-justice-action.org