Des étudiants en médecine créent le buzz avec un manuel contre les labos pharmaceutiques

Des étudiants en médecine créent le buzz avec un manuel contre les labos pharmaceutiques

Un collectif français d’étudiants en médecine — nommé « La Troupe du RIRE » — est en train d’imprimer la seconde édition de son manuel « d’autodéfense intellectuelle » à destination de leurs camarades et des médecins établis. Le but de ce projet ? Sensibiliser les professionnels de la santé aux nombreuses techniques marketing des laboratoires pharmaceutiques.

Les étudiants à l’origine de ce guide estiment en effet que les conflits d’intérêts entre les laboratoires et la médecine sont responsables de nombreuses « prescriptions inadaptées », générant un « risque sanitaire ».

« Nous ne sommes pas anti-labos ou anti-médicament », prévient d’emblée Paul Scheffer, un doctorant en sciences de l’éducation. Il fait partie du collectif qui a rédigé le livret. Dans un entretien téléphonique accordé à VICE News ce mercredi matin, il nous explique que le but de ce fascicule est « avant tout de faire réfléchir, de sensibiliser, et de favoriser l’esprit critique. »

« Certains grands spécialistes n’hésitent pas à comparer les laboratoires pharmaceutiques à la mafia », ajoute-t-il, « c’est un débat important à l’heure actuelle dans la communauté scientifique. »

Déjà publié à 2 500 exemplaires en novembre 2015 (et en cours de réimpression à 8 000 exemplaires), ce livret de 34 pages se veut plus intuitif que le rapport de 180 pages rédigé dans un but similaire par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2009.

Des étudiants et des médecins « convoités »

« Ce manuel tient dans la poche d’une blouse blanche de médecin», nous indique Paul Scheffer. Son collectif compte en effet sur le bouche-à-oreille et la diffusion au sein des facultés de médecine en France, car « l’indépendance vis-à-vis des laboratoires n’est pas enseignée dans les programmes à l’heure actuelle », déplore-t-il.

Dans une vidéo publiée sur leur compte YouTube, certains étudiants du collectif racontent leurs expériences vis-à-vis de l’influence de ces laboratoires.

« Alors que ma pause déjeuner arrivait, ma chef m’appelle et me dit au téléphone " Karim, viens, on va se faire un super restaurant […] et en plus, ça va être gratuit […] c’est juste un labo pharmaceutique qui nous paye le déjeuner " », raconte par exemple l’un d’eux, ajoutant qu’il avait refusé cette invitation.

Pour couvrir les frais d’impression et de diffusion de ce manuel, la Troupe du RIRE demandait environ 3 000 euros sur un site de financement participatif. « Finalement, nous avons récolté plus de 4 500 euros », se réjouit Paul Scheffer. « Nous avons été très surpris de l’accueil qu’a reçu ce livret, les retours venant des étudiants mais aussi des médecins ont été très enthousiastes. »

Recommandation de médicament par un médecin réputé, démarchage intense des visiteurs médicaux, remises accordées aux hôpitaux, financement par les laboratoires de la formation obligatoire des étudiants en médecine : toutes ces techniques marketing sont passées en revue par ce manuel, qui appelle les étudiants à ouvrir l’oeil sur ce que les laboratoires leur proposent.

« Je ne suis pas étonné par ce que rapporte ce guide », nous raconte Vincent, un interne en anesthésie de 26 ans au CHU de Nice. D’après lui, l’influence de l’industrie pharmaceutique est « progressive ».

« Quand tu es étudiant, il s’agit surtout de buffets ou de repas organisés lors des présentations, que l’on doit d’ailleurs déclarer sur un site internet dans une logique de transparence. Mais c’est lorsque tu deviens interne qu’ils les laboratoires s’intéressent à toi, tu commences à recevoir des visites, ils viennent souvent te démarcher, » nous raconte-t-il par téléphone.

Cet intérêt ne semble toutefois pas concerner toutes les spécialités médicales avec la même intensité. « En anesthésie, presque tous les médicaments sont génériques donc nous sommes peu convoités. En revanche, les cardiologues et plus encore les cancérologues sont constamment visités par des représentants médicaux, presque deux fois par semaine », dit-il.

« En dermatologie, les labos sont ultra-présents, avec les échantillons, les congrès… J’ai un ami qui s’est fait payer une semaine à Paris comme ça récemment », nous raconte Diego (le nom a été changé à sa demande), interne lui aussi dans un hôpital en Guyane.

En 2006, un rapport du Sénat sur les conditions de distribution des médicaments en Franceindiquait déjà que « les étudiants sont soumis très tôt à l’influence des laboratoires » dans les hôpitaux et au cours de leur formation. Dans ce rapport, les financements privés étaient à l’époque jugés « opaques » mais aussi « indispensables », car ils représentaient près de 98 pour cent de la formation des médecins — et se chiffraient entre 300 et 600 millions d’euros.

D’après certains analystes, les plus grands laboratoires pharmaceutiques du monde dépenseraient jusqu’à deux fois plus d’argent dans les campagnes marketing que dans leurs départements de recherche et développement. À la différence des autres industries, les fabricants de médicaments avec ordonnance visent en priorité les professionnels de santé, et non les consommateurs.

« Résistance individuelle »

À l’aide de son manuel, La Troupe du RIRE invite désormais les institutions concernées à compléter la formation apportée aux futurs médecins. Ils pensent à une meilleure formation concernant la lecture d’articles scientifiques par exemple.

« Les nouveaux médicaments ne sont pas forcément les meilleurs », peut-on lire dans ce manuel, qui souligne qu’entre 1981 et 2004, « 68 pour cent des nouveaux médicaments n’apportaient rien de nouveau ».

Plus loin, ce guide tire la sonnette d’alarme au sujet des études publiées dans les revues spécialisées qui — lorsqu’elles sont financées par un laboratoire — ont « quatre fois » plus de chances que les autres de présenter des résultats favorables à leur sponsor. Ces constats citent à chaque fois des études scientifiques.

Pour ce qui est des enseignements, ce collectif d’étudiants demande aussi que les professeurs déclarent clairement leurs liens d’intérêts (éventuels contrats avec un ou plusieurs laboratoires) avant de débuter leurs cours.

Contactés à plusieurs reprises par VICE News, les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé n’ont pas été en mesure de réagir à ce sujet dans les délais de parution de cet article.

Au-delà des réformes institutionnelles, ce manuel appelle les professionnels de santé à agir au quotidien, en faisant l’effort de vérifier davantage les informations communiquées par les laboratoires, dans une logique de « résistance individuelle ».

À terme, le collectif La Troupe du RIRE espère faire aussi bien que la campagne « Just Medicine » (« Juste un médicament » en français) de l’Association américaine des étudiants en médecine (AMSA). Cette campagne avait notamment débouché sur la création d’unclassement annuel des universités américaines, canadiennes et australiennes, en fonction de leurs liens affichés avec l’industrie pharmaceutique.

« Une version française de ce classement va bientôt être créée », nous indique Paul Scheffer.

Interrogés par VICE News à propos de leurs activités de marketing auprès des étudiants en médecine, aucun des trois grands laboratoires cités par ce manuel n’a répondu à nos demandes d’entretien.

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