“Les partis politiques ? Comment vous dire ? Ras-le-Bol !” Ils sont jeunes, entreprenants, intéressés par la vie publique, amoureux de leur pays, citoyens, mais quand on leur parle politique, ils soupirent. Et pourraient paraphraser Martine Aubry parlant d’Emmanuel Macron !
Ces partis qui ne représentent que 0,58% de la population française – 387.000 adhérents, autant dire presque rien – et qui, en oligopole, sélectionnent les candidats à l’élection présidentielle, ils n’en peuvent plus.
Les changer de l’intérieur ? Ils n’y croient pas. En créer un nouveau ? Ils ont suivi attentivement les expériences récentes, Nouvelle donne de Pierre Larrouturou, Nous, Citoyens, lancé par l’entrepreneur Denis Payre. Deux jolis succès par leurs adhésions, mais pas à même de changer les règles du jeu.
Alors ils ont pris une autre voie : utiliser la technologie qui a réussi à bouleverser en quelques années des secteurs entiers (la musique, le cinéma, le transport, l’hôtellerie, le commerce, la presse…) pour chambouler la politique.
Biotech, Fintech et maintenant Civic Tech
Après les biotech (start up du secteur de la biologie), les cleantech ou greentech (initiatives pour l’environnement), les fintech (secteur de la finance), voici les Civic Tech, initiatives citoyennes.
Elles se multiplient, nombreuses, complémentaires, stimulantes. LaPrimaire.org veut permettre aux internautes de choisir leur candidat à la présidentielle. Voxe.org veut donner les moyens aux citoyens de comparer les programmes électoraux. MaVoix ambitionne d’organiser la démocratie directe, en donnant aux électeurs un contrôle sur le vote de leur député.
Pour tous, la vie politique ne peut plus fonctionner au 21e siècle, celui de l’Internet, des plateformes, de l’économie collaborative, comme elle fonctionnait au 19e, avec des outils du 15e siècle ! Ils en proposent de nouveaux. En voici trois.
1. Choisir son candidat avec LaPrimaire.org
Jeudi 15 octobre, pour le lancement officiel de leur site LaPrimaire.org, Thibauld Favre et David Guez étaient fin prêts. Tee-shirts avec le logo de leur appli, discours bien rôdé, l’entrepreneur et l’avocat attendaient de pied ferme les journalistes politiques pour leur expliquer comment ils allaient révolutionner le choix des candidats aux élections, et à la principale d’entre elle, la présidentielle. Las, aucun n’est venu. Ils se sont retrouvés seuls, avec faute de mieux, une journaliste économique de “l’Obs” présente par simple curiosité citoyenne…
Sophie Fay/L’Obs
Déçus, les deux associés ? Pas vraiment. Au contraire. Ils n’en sont que plus motivés, comme la centaine d’amis et curieux venus les écouter et les soutenir ce soir-là. Thibauld Favre souligne :
Les partis représentent moins de 1% de la population, mais malgré tout ils ont tous les pouvoirs : ils désignent les candidats et monopolisent la scène médiatique."
C’est cela que nous voulons changer."
Comment ? Surtout pas en créant un autre parti, mais en déverrouillant les primaires, en imaginant un processus de sélection des candidats plus légitimes que celui organisé par les partis politiques: “une primaire démocratique qui permettrait à chaque citoyen de se présenter comme candidat à l’élection présidentielle de 2017 ou de propos des candidats à ladite élection”, expliquent David Guez et Thibauld Favre.
Avec la viralité des réseaux sociaux, ils se sentent capables d’attirer 500.000 personnes sur leur plateforme. Le pari serait alors gagné : LaPrimaire.org serait, en nombre, plus légitime que tous les partis politiques réunis ! Pour Thibauld,
Dès que nous serons 100.000, nous pourrons être efficaces, sans risque d’être noyauté ou manipulé par des activistes ou des extrémistes."
La plateforme compte déjà 1.500 sympathisants. Et pas des moindres. Etaient présents dans la salle Nicolas Colin, fondateur de la société d’investissement The Family (qui prêtait ses locaux), Franck Le Ouay, un des fondateurs de Criteo (ciblage publicitaire), success story française du Nasdaq, ou Duc Ha Duong, créateur d’Officience (services informatiques).
Encore faut-il pour réussir le pari que l’outil soit bien conçu. Thibauld Favre, ingénieur (Insa Lyon) qui a déjà créé deux start up (RiftTechnologie et AllMyApps), travaille à peaufiner l’appli. Objectif : commencer les essais en décembre, pour être opérationnel au premier trimestre 2016.
Pour financer son développement et l’embauche de quelques permanents, cette association (loi 1901) a ouvert une campagne de dons sur le site HelloAsso.com. Elle a déjà levé 10.000 euros.
2. Comparez les programmes avec Voxe.org
Léonor de Roquefeuil, elle, n’aura pas besoin de se lancer dès cette année dans la recherche de soutiens financiers. Le site lancé par cette diplômée de Sciences po Bordeaux, qui a travaillé pour l’ONU, Saint-Gobain et un château bordelais, a été finaliste du Google Impact Challenges, un concours organisé par le géant de l’Internet pour encourager les start up à vocation sociale ou citoyenne. Les quatre lauréats ont bénéficié d’un don de 500.000 euros, les six autres projets d’un “coup de pouce” de 200.000 euros.
De quoi voir grand pour Voxe.org qui met à disposition des citoyens une plateforme de comparaison des programmes électoraux. La start up citoyenne, à laquelle Léonor de Roquefeuil se consacre à temps plein depuis mai 2014, est en rodage depuis l’élection présidentielle de 2012 (> lire ici). Elle a été soutenue par le ministère des Affaires étrangères pour mettre en place un “serious game” au moment des dernières élections européennes.
Léonor de Roquefeuil a lancé Vox.org (Sophie Fay/“L’Obs”)
Le site est d’ores et déjà international et offrait un comparatif des programmes électoraux pour les dernières élections en Russie, au Brésil, en Guinée Conakry… Il permet même de voir les propositions des différents partis sur les sujets qui seront débattus lors de la grande conférence sur le Climat qui se réunira à la fin de l’année à Paris, la COP 21.
3. Prenez le pouvoir avec Mavoix.fr
Mavoix.fr est moins avancé que Voxe. Pour l’instant, le projet est surtout un teasing, un petit film qui se propage à vitesse grand v sur Facebook et les réseaux sociaux.
Mais c’est déjà une communauté active : un groupe Facebook de plus de 350 personnes, avec un porte-drapeau déterminé, Quitterie de Villepin.
La politique, cette mère de famille connaît bien. Elle n’a pas milité à l’UMP comme son patronyme pourrait le laisser penser et n’a qu’un lien de parenté très éloigné avec l’ancien Premier ministre. Elle a en revanche fait un bout de route avec François Bayrou au Modem. Avant de renoncer à la politique traditionnelle, déçue par ce microcosme.
Son mot d’ordre aujourd’hui :Hacker l’Assemblée"
C’est-à-dire prendre le contrôle des députés. En clair, elle pousse pour un modèle de démocratie directe.
Cette idée, Quitterie de Villepin y réfléchissait sans vraiment la creuser. Mais elle a été surprise, lorsqu’elle l’a présentée aux “Barbares”, un groupe d’entrepreneurs, de travailleurs en free lance ou de salariés qui se retrouvent virtuellement sur Facebook et ont pour point commun l’envie de voir le monde économique et politique changer. Ils s’étaient réunis le 31 mars dernier à L’Archipel, une salle parisienne.
Ce jour-là, Quitterie de Villepin explique qu’elle a quitté le parti traditionnel auquel elle a adhéré mais que, toujours passionnée par la chose publique, elle rêvait d’une autre manière d’influencer le débat. Pourquoi pas former un groupe assez puissant pour porter au Parlement une quinzaine de députés qui ne voteraient pas en suivant la ligne d’un parti, mais en suivant les consignes que leur donneraient leurs électeur via une plateforme de vote ?
Elle a été surprise de voir sa proposition – pourtant un embryon d’idée à ce stade – aussi applaudie et surtout de voir un groupe serré et ultra intéressé l’entourer toute la soirée et en demander sans cesse davantage. Il fallait organiser la suite, concevoir le moyen de faire naître ce nouveau député. Rendez vous à la conférence TEDx organisée à La Rochelle le 7 novembre prochain.
Plus de Civic Tech…
Cet article ne cite que quelques initiatives. Les Civic Tech ne se limitent pas à elles. Certainement pas. Il y a bien sûr les sites de pétition en ligne change.org et Avaaz qui connaissent un succès phénoménal. Mais d’autres initiatives apparaissent partout dans le monde comme Civocracy, une start up née à Berlin pour favoriser le débat citoyen ou encore DemocracyOS, né à Buenos Aires et incarné par Pia Mancini.
La politique changera-t-elle aussi vite que la musique, la presse, le voyage ? La révolution des Civic Tech ne fait que commencer.
Sophie Fay @SophiFay