Collectif citoyen sans politicien professionnel

http://tempsreel.nouvelobs.com/signatures/20160124.OBS3277/presidentielle-ces-mouvements-citoyens-qui-veulent-s-inviter-en-2017.html
   

“Les formes traditionnelles de militantisme n’intéressent plus du tout, surtout les jeunes”, dit-elle. Elle ? Ce n’est pas de la bouche d’une responsable de section déprimée que sort ce constat sans appel, mais bien d’une ministre. Encartée au PS, elle a suivi avec attention la récente percée de Podemos et Cuidadanos lors des législatives en Espagne. Fin décembre, le parti anti-austérité et la formation du centre issue de la société civile ont privé le parti du Premier ministre Mariano Rajoy (PP) de la majorité absolue. Entre chemises sans cravates, tenues décontractées et même une députée venue accompagnée de son bébé, la première session du Parlement espagnol, trois semaines plus tard, témoignait d’un renouvellement certain.

“Une élite issue du même moule”

En France, l’image n’est pas encore d’actualité. Mais de plus en plus nombreux sont ceux qui s’activent pour qu’elle le devienne. Aux dernières municipales, une liste citoyenne s’emparait du pouvoir dans la petite ville de Saillans, dans la Drôme. Et ces derniers mois, les mouvements qui entendent replacer le citoyen au cœur du jeu politique se sont multipliés. Leur objectif ? Recréer de l’intérêt pour la chose publique dans un contexte d’abstention et de crise de confiance, faire émerger de nouvelles idées ou des candidats en vue de la présidentielle ou des législatives de 2017.

Pour le député socialiste frondeur (Français de l’étranger) Pouria Amirshahi, ce “dépérissement progressif et irréversible des partis politiques traditionnels” est imputable à “l’échec de notre modèle économique” mais surtout à “la reproduction de la caste” qui compose le paysage politique. Le gouvernement actuel, photographie de cette “élite issue du même moule”, en est d’ailleurs, à ses yeux, un exemple frappant. En novembre dernier, Pouria Amirshahi a lancé le “Mouvement commun”, un collectif censé “fédérer les bonnes volontés pour définir des causes communes et penser la France d’après”. Sans se focaliser sur la prochaine présidentielle. Du moins pour l’instant :

Notre objectif est clair : la reconquête du pouvoir"

“Sa tête est partout”

Parmi les quelque 3.000 signataires figurent des habitués de l’arène politique, tels l’ex-ministre écolo et candidate probable en 2017 Cécile Duflot, ou le patron du PCF Pierre Laurent. Mais les élus et responsables politiques seraient minoritaires, assure Pouria Amirshahi, bien conscient qu’à trop mettre en avant des têtes d’affiches, la démarche “citoyenne” ne pourrait être que discréditée. “Le Mouvement commun, c’est surtout le mouvement de Pouria Amirshahi. Sur le site Internet, sa tête est partout”, ne peut toutefois s’empêcher de pointer dans un sourire un responsable du Front de gauche.

D’autres relèvent aussi que si le frondeur pointe du doigt des élus peu représentatifs, lui-même (Ancien travailleur social et coordinateur d’une association, “4D”, il s’assure pourtant “très à l’aise avec la critique de la bulle”), reste un habitué du sérail politique. Ancien président de l’Unef-ID puis de la Mnef, membre du bureau national du PS, “Pouria n’est jamais sorti de l’appareil”, tacle ainsi le député du Morbihan Philippe Noguès.

Ancien frondeur du PS lui aussi, Philippe Noguès avait fini par claquer la porte du parti et du groupe à l’Assemblée l’été dernier, agacé par la ligne économique, trop libérale à ses yeux, du gouvernement. “Je n’ai pas commencé la politique à 50 ans pour avaler des couleuvres”, lance ce primo-député et ancien cadre chez le cigarettier Philip Morris, qui revendique haut et fort d’avoir “encore les pieds dans la boue” :

Quand je me promène sur le marché, les gens savent que je n’ai pas fait Sciences Po".

“Plus besoin d’être un parti”

Une force, veut croire Philippe Noguès, qui vient lui aussi de lancer son propre mouvement citoyen sur ses terres de Bretagne. “Voix de gauche”, né sous la forme d’une association, entend multiplier les réunions publiques et, pourquoi pas, porter les idées qui en ressortent jusqu’au Palais Bourbon. La participation à l’organisation d’une primaire de la gauche en vue de la présidentielle est aussi sur la table : “Si Hollande n’en passe pas par là, il ne sera pas au second tour”.

Ces dernières semaines, les appels à la mise sur pied d’un tel scrutin se sont multipliés. Dernier en date, après celui lancé par une dizaine d’intellectuels dans “Libé”, celui d’un collectif de 500 militants impulsé notamment par la féministe passée par le PS Caroline de Haas et le geek de la campagne d’Eva Joly, Eliott Lepers.

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Leur plan : collecter 200.000 euros via une plateforme numérique, primairedegauche.fr, pour pouvoir organiser le scrutin. “Maintenant, plus besoin d’être un parti : un site Internet génère quasiment autant de bruit”, note Lepers, au nombre des initiateurs, avec de Haas et le porte-parole d’EELV Julien Bayou, du contre-référendum sur l’union de la gauche à la veille des régionales.

Un “système politique qui ne nous respecte pas”

Cette force de frappe des outils numériques, les initiateurs de laprimaire.org, également à l’origine d’une collecte de fond participative pour financer une primaire, l’ont bien compris aussi. Emmenés par un ingénieur, Thibaud Favre, et l’avocat David Guez, eux entendent parvenir à réunir l’inscription de 100.000 citoyens (ils ne sont que 12.200 à l’heure actuelle) appelés à “choisir librement, de manière transparente et démocratique, les candidats qu’ils souhaitent voir se présenter à l’élection présidentielle de 2017”. Sans toutefois se revendiquer d’un bord politique particulier.

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D’autres visent plutôt les prochaines législatives. C’est le cas du collectif “Ma voix”, qui, exaspéré de ce “système politique qui ne nous respecte pas, ne nous entend pas et, depuis quelques temps, nous dégoûte même par ses frasques”, entend tout simplement “hacker l’Assemblée nationale” en 2017. L’idée : “faire élire des volontaires formés et tirés au sort qui relaieront les décisions de leurs électeurs pendant cinq ans”.

Avec 7.200 soutiens sur Facebook, l’initiative demande encore à se faire connaître. Derrière ce collectif d’un genre nouveau, qui organise des réunions à Paris une fois par mois, se cache, entre autres, Quitterie de Villepin. Celle qui fût la cheville ouvrière de la campagne web de François Bayrou en 2007 préfère toutefois rester discrète, histoire d’accorder paroles et actes et ainsi “privilégier le collectif”.

Nouvelle donne, “désormais le jouet d’une oligarchie”

Car les guerres d’égo et la personnalisation semblent bien être le péril qui guette ces nouveaux mouvements. L’envie de “faire de la politique autrement” ne suffit en rien à éviter les guerres de clan. L’été dernier, soixante militants et responsables annonçaient leur départ de Nouvelle donne, le parti qui entendait “renouveler les pratiques démocratiques”, fondé moins de trois ans plus tôt par l’économiste (passé par le PS et EELV) Pierre Larrouturou. La formation “est désormais le jouet d’une oligarchie. Quelle ironie !”, se désolaient alors les démissionnaires dans une tribune à Mediapart.

Fondé en 2013 par l’entrepreneur Denis Payre, le mouvement “Nous citoyens”, né en opposition à la professionnalisation de la vie politique, n’a pas non plus été épargné par les remous. Car les bisbilles internes ne sont décidément pas l’apanage des partis et mouvements traditionnels.

Audrey Salor