Félix Guattari, penseur de l’écosophie

L’écosophie se distingue de l’écologie qui peut être revendiquée par beaucoup, des conservateurs aux libertaires. Le mouvement écologiste prétend inventer de nouvelles pratiques sociales et de nouvelles formes d’organisation. Mais Félix Guattari ne voit pas encore la dérives de l’écologie politique vers les manœuvres des appareils politiciens. Pourtant, le terme d’écosophie permet de se distinguer du parti écologiste et de ses limites.

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Félix Guattari, penseur de l’écosophie

Publié le 2 Mars 2014
Félix Guattari, penseur de l’écosophie
Le philosophe Félix Guattari propose une réflexion sur l’écosophie pour repenser les pratiques politiques dans la France de la fin des années 1980.

Félix Guattari peut permettre de penser la société moderne. Ce philosophe participe d’abord au mouvement trotskyste et aux luttes contre la psychiatrie. Ensuite, il défend le mouvement autonome italien et l’effervescence révolutionnaire des années 1968. Au début des années 1980, il critique les « années d’hiver », avec la gauche au pouvoir. Félix Guattari écrit de nombreux textes pour penser la situation de 1985 à son décès en 1992. Un récueil de textes est publié récemment.

Durant cette période, il se rapproche du mouvement écologiste qui semble réinventer la politique et renouveler la pensée critique. Pourtant, Les Verts reproduisent les pratiques bureaucratiques de tous les autres partis.

L’écosophie se distingue de l’écologie qui peut être revendiquée par beaucoup, des conservateurs aux libertaires. Le mouvement écologiste prétend inventer de nouvelles pratiques sociales et de nouvelles formes d’organisation. Mais Félix Guattari ne voit pas encore la dérives de l’écologie politique vers les manœuvres des appareils politiciens. Pourtant, le terme d’écosophie permet de se distinguer du parti écologiste et de ses limites.

couverture de QU’EST-CE QUE L’ÉCOSOPHIE ?

Révolte des subjectivités

Félix Guattari décrit la modernité marchande, avec l’uniformisation culturelle et l’abrutissement de masse. « La subjectivité se trouve ainsi menacée de pétrification, elle perd le goût de la différence, de l’imprévu, de l’évènement singulier », observe Félix Guattari. Le capitalisme impose une logique quantitative avec la croissance et la recherche du profit. Au contraire, la dimension qualitative doit s’imposer pour réhabiliter la singularité et les désirs humains. L’écosophie comprend une dimension environnementale, mais aussi économique, urbaine, sociale et mentale. « La naissance et la mort, le désir, l’amour, le rapport au temps, au corps, aux formes vivantes et inanimées appellent un regard neuf, épuré, disponible », constate Félix Guattari.

Le mode de vie urbain impose la discipline du travail et façonne les subjectivités à travers l’éducation, la santé, le contrôle social et culturel. « C’est la sensibilité, l’intelligence, le style interrellationnel et jusqu’aux fantasmes inconscients qui se trouvent modélisés par ces mégamachines », observe Félix Guattari. Il décrit la destruction des relations humaines et invite à expérimenter de nouvelles manières d’habiter la ville.

L’écosophie permet d’attaquer l’emprise du capital sur tous les aspects de la vie. De nouvelles pratiques doivent s‘inventer. « Au-delà des revendications matérielles et politiques émerge l’aspiration à une réappropriation individuelle et collective de la subjectivité humaine », estime Félix Guattari. Au contraire, les vieilles idéologies imposent une séparation entre le politique, l’éthique et l’esthétique.

Le mode de production capitaliste ne se réduit pas à des infrastructures matérielles, mais lamine également les subjectivités. Face à ce constat, les pratiques artistiques et la créativité dans tous les domaines peuvent permettre de diffuser des sensations nouvelles pour reconstruire une subjectivité.

Pourtant, la culture semble désormais encadrée par l’État. Les maisons de la culture colonisent le territoire pour étouffer toute forme de créativité. « Je ne ferai pas l’apologie du spontanéisme, mais le désir de culture ne peut coïncider avec une demande programmée », estime Félix Guattari.

La psychanalyse évoque la répression des désirs pour conformer l’individu à l’ordre social. « Un inconscient machinique trop diversifié, trop créatif, serait contraire à la bonne tenue des rapports de production fondés sur l’exploitation et la ségrégation sociale », souligne Félix Guattari. Mais le désir n’est pas uniquement réprimé, il est également contrôlé et orienté par la société capitaliste.

Le capitalisme mondial intégré (CMI) ne se limite plus à la sphère productive pour également façonner les subjectivités, à travers les médias, la publicité, les sondages ou l‘urbanisme. Des professions et une uniformisation encadrent la subjectivité capitaliste. « C’est ainsi qu’elle ira jusqu’à tenter de gérer ce qui est de l’ordre de la découverte et de l’invention du monde par l’enfance, par l’art ou l’amour, aussi bien que ce qui a rapport à l’angoisse, la douleur, la mort, le sentiment d’être perdu dans le cosmos », précise Félix Guattari.

Des manifestants affrontent la police à Nantes le 22 février 2014

Nouvelles formes de luttes contre le capitalisme moderne

La « révolution moléculaire » ne réduit pas la politiques à ses appareils bureaucratiques comme les partis. Cette micropolitique comprend les attitudes qui traversent la vie individuelle, familiale ou artistique. Durant les années 1970, l’autonomie italienne exprime une radicalité et une spontanéité en dehors des partis et des syndicats. Le phénomène des radios libres semble issu de ce mouvement.

Félix Guattari évoque également la lutte des classes. Il estime que ce concept est dépassé. Le problème c’est que la lutte des classes ne se réduit pas à un concept mais demeure une réalité, avec l’existence d’exploiteurs et d’exploités toujours présente.

En revanche, Félix Guattari observe bien que la subjectivité classiste semble s’affaiblir. Au mieux, la représentation de la classe ouvrière est portée par la petite bourgeoisie intellectuelle et les classes moyennes. Surtout, le mouvement ouvrier semble s’effondrer en raison de sa bureaucratisation. « La bolchevisation d’une part importante du mouvement ouvrier a été accompagnée d’un recul de la démocratie de base, au profit d’avant-gardes auto-proclamées », observe Félix Guattari. Avec cette tendance bureaucratique, le mouvement ouvrier s’appuie sur un capitalisme productiviste qu’il se contente de vouloir aménager. « La qualité de vie passait après les revendications quantitatives », souligne Félix Guattari. Le mouvement ouvrier se limite alors à des revendications catégorielles réduites à la sphère de la production. La lutte contre le racisme et la libération des femmes sont des problèmes occultés. « Bref, les luttes ouvrières ont eu tendance à se replier sur elles-mêmes, à adopter une optique corporatiste, coupée de leur contexte social et de l’évolution du monde », estime Félix Guattari.

Le philosophe se tourne alors vers le mouvement écologique, qu’il ne réduit pas au parti des Verts. Pourtant, il semble réduire la lutte de classe à ses représentants. Félix Guattari souligne néanmoins la dimension partielle d’une réduction de l’écologie à la défense de l’environnement. L’écologie sociale et l’écologie mentale doivent compléter l’écologie environnementale. Le mouvement ouvrier doit donc s’enrichir d’une dimension écologiste et féministe.

Le capitalisme favorise la destruction des relations humaines et renforce la dépossession de la vie. « Le capitalisme mondial intégré et son redoutable instrument de production de subjectivité mass-médiatique tendent à transformer leurs citoyens producteurs-consommateurs en zombies impersonnels, désingularisés, sérialisés », observe Félix Guattari. La critique de la vie quotidienne et la dimension existentielle doit donc également alimenter le mouvement ouvrier. La lutte des classes doit intégrer une dimension qualitative pour penser l’organisation du travail, la culture ou la vie de quartier. La créativité et l’inventivité collective doivent primer sur la hiérarchie et la bureaucratie.

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Ecologie et politique

Félix Guattari explique les raisons de son engagement dans le parti des Verts. Il pense pouvoir réinventer la politique dans le cadre de cette bureaucratie. Il imagine une nouvelle forme de militantisme. « L’engagement dans une telle perspective n’est pas simplement affaire d’idées et de communication, mais également, et peut-être avant tout, de renouvellement des pratiques », estime Félix Guattari. Les organisations politiques traditionnelles entretiennent la passivité consumériste des individus. Aucun débat tranchant et décisif n’est évoqué. Mais il observe aussi le sectarisme du parti écologiste déjà sclérosé. Dans le parti des Verts, « leurs instances organisationnelles ont tendance à tourner sur elles-mêmes, à fonctionner sur un mode groupusculaire », observe Félix Guattari.

Au contraire, un mouvement politique doit s’opposer à toutes les formes de direction autoritaire et de cadre rigide pour encourager la créativité et la spontanéité. « Ce futur mouvement devrait être pluraliste et profondément implanté dans la société à partir de collectifs de base et de collectifs sensoriels », propose Félix Guattari. Surtout, les idées écologistes ne doivent pas se réduire à une idéologie pour se relier aux luttes sociales et à de nouvelles pratiques dans la vie quotidienne.

L’écologie doit devenir le point de ralliement de vers mouvements de lutte et de créativité. Ce mouvement doit relayer le mouvement ouvrier pour dépasser ses limites et prendre en compte divers problèmes au-delà de la sphère strictement économique. « L’écologie devrait être un lien entre des pratiques jusqu’alors disjointes et dont la disjonction entraîne selon moi des phénomènes de bureaucratisme, de corporatisme, une incapacité de lier les problèmes de la vie personnelle, de la vie quotidienne et des engagements sociaux », souligne Félix Guattari. L’écologie ne doit pas former une idéologie unique et uniformisée mais doit préserver sa diversité.

Le philosophe développe même une critique de la politique enfermée dans le cadre électoral et la routine militante. Les Verts apparaissent comme une bureaucratie qui tente de contrôler et de gérer l’aspiration écologiste de nombreuses personnes. Cet appareil semble tourné sur lui-même et ses petits problèmes internes plutôt que vers la société et la vie quotidienne. « Mais je ne vois pas ce que je ferais dans les réunions où je suis allé quelques fois, les AG, où il y avait des discussions, mais vraiment effarantes de problèmes de statut, de trésorerie, des engueulades absolument dignes de Ionesco », décrit Félix Guattari. La routine militante se caractérise par une perte de sens avec la grisaille des groupuscules. « Ou bien on est capable de former un nouveau style de militant, qui seront ressentis à l’extérieur comme des gens vivants, chaleureux, généreux et pas comme des bureaucrates professionnels », souligne Félix Guattari. Mais il préconise également une alliance des écologistes avec le PS, ce qui relève de l’opportunisme et du calcul politicien le plus méprisable.

Dans un mouvement politique les problèmes de chacun doivent être pris en compte pour ne pas séparer la lutte de la vie. Les problèmes de fric, les angoisses et les dépressions doivent être pris en compte voire solutionnés. Il ne faut pas abandonner les gens dans la solitude totale. « Il s’agit de prendre les problèmes au moment où ils émergent, où il y a une économie de désir qui tire les sonnettes d’alarme », estime Félix Guattari qui s’appuie sur son expérience de psychanalyste.

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Les limites d’une réflexion critique

Les analyses de Félix Guattari semblent souvent pertinentes. Il observe bien les nouvelles formes d’aliénation capitalistes dans le travail, mais aussi dans la consommation, les loisirs et la culture. La logique marchande ne se limite pas à la sphère productive mais colonise tous les aspects de la vie.

Sa critique du mouvement ouvrier semble pertinente. Les organisations s’enferment dans une routine bureaucratique et militante. Les gauchistes ne s’appuient pas sur la vie quotidienne et les désirs, mais uniquement sur des idéologies poussiéreuses.

En revanche, Félix Guattari occulte l’apport du mouvement ouvrier. Les soviets, les conseils révolutionnaires, les assemblées de base ont profondémment renouvellé les pratiques de lutte. Leur héritage n’est pas à liquider, bien au contraire. De même, le philosophe ne semble pas adopter une analyse en terme de classes sociales. Pourtant, l’aliénation semble différente selon la position sociale de chaque individu. Son constat semble trop globalisant et ne souligne pas les rapports d’exploitation.

Surtout, la « révolution moléculaire » et la « micropolitique » semblent peu convaincantes. Les petits gestes de révolte peuvent se diffuser. Mais seul un mouvement de tous les exploités peut renverser la civilisation marchande. Félix Guattari ne semble pas s’inscrire dans cette perspective et adopte une pensée de la défaite à travers l’apologie des micro-résistances. C’est la démarche de la mouvance postmoderne.

Pire, Félix Guattari adopte parfois la posture douteuse du conseiller du prince avec ses propositions et revendications responsables. Selon le philosophe, les mouvements de lutte doivent alors interpeller les gouvernants afin de permettre une meilleure gestion du capitalisme. Au contraire, les révoltes se doivent de balayer la mascarade marchande pour inventer une nouvelle forme d’organisation politique et sociale.

Pourtant, Félix Guattari permet de sortir de la vieille rhétorique gauchiste comme de la grisaille libérale. Il aspire à relier la politique avec la vie quotidienne plutôt que de se confromer au militantisme sinistre. Il a bien raison d’insister sur l’importance d’une libération de la créativité, de la subjectivité et des désirs.